Comment Matthieu Gery se Prépare pour Enchaîner un Bloc Difficile à Ailefroide

Matthieu Gery
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Dans l’article d’aujourd’hui, j’essaie quelque chose de nouveau: l’interview d’un grimpeur professionnel.

Mon objectif reste quand même que tu puisses en tirer des informations utiles et faciles à mettre en place pour ta progression personnelle.

Du coup, elle est très axée sur l’entraînement, à la fois mental et physique.

Cette première interview, je l’ai faite avec Matthieu Gery.

Je l’avais déjà sollicité lors de l’article « 11 cracks de l’escalade te donnent leurs meilleurs conseils pour progresser » et j’avais particulièrement apprécié sa façon de voir les choses.

Du coup, il a gentiment accepté de m’en dire plus sur sa préparation pour enchaîner des blocs de haut niveau, comme « Le pied de la Sybille » à Ailefroide.

La vidéo ci-dessus est tirée de sa série « Story of New Routes » que tu peux suivre sur sa page Vimeo.

Tu peux aussi en savoir plus sur Matthieu en visitant son site web.

 

Ce que tu vas apprendre dans cette interview

  • Comment Matthieu s’est préparé physiquement pour « Le pied de la Sybille »
  • Comment il a construit son programme d’entraînement et pourquoi il a dut le faire évoluer au fil du temps
  • Comment il arrive à rester focus sur son entraînement pendant de longue période
  • Ce qu’il fait pour éviter les blessures et comment il réagit quand ça arrive
  • Comment il a réussi à convaincre des sponsors à le suivre

 

Interview avec Matthieu Gery

Salut Matthieu et merci de prendre le temps de me répondre et de donner de ton temps pour les lecteurs de Grimper-malin.fr.

J’ai suivi tes dernières réalisations, notamment le fameux 7C+ d’Ailefroide, « Le pied de la Sybille ».

Comment s’est passé le premier contact avec ce bloc ?

Salut François. Aucun problème, c’est un plaisir pour moi de partager mon vécu et mon expérience sur ton blog.

La première fois que j’ai essayé ce bloc, c’était il y a 2 ans, lors de l’été 2013.

Je me suis tout de suite rendu compte qu’il était clairement au dessus de mon niveau physique et technique. Mais également de mon expérience à enchaîner un bloc « dur ».

Cependant je savais aussi, un peu inconsciemment, que j’étais capable de le faire car que je sentais petit à petit mon corps apprendre les mouvements, les sensations et la gestuelle.

Et d’essais aberrants et utopiques, je suis vite passé à des essais concrets, avec des calages de plus en plus précis, pour arriver à un vrai plaisir de grimper dedans et à de vraies intuitions d’escalade qui n’existaient pas avant.

Mais impossible d’enchainer car malgré toute la gestuelle, la technique et le mental de guerrier mis en place pour l’enchainement, à un moment donné quand on ne ferme pas le bras, quand on ne tient pas les prises, quand on ne gaine pas assez fort, et bien c’est comme ça, on est faible et impuissant.

Presque inutile face à l’obstacle à surmonter.

 

Impossible à ce moment là de l’enchainer donc.

Rien y fait.

Dans ce cas, il faut aller s’entrainer rigoureusement et méthodiquement pour avoir les moyens de dépasser sa limite.

 

Quelle a été ta préparation du coup ?

J’ai décidé de me détacher provisoirement de ce projet. Mais je le matthieu gerygardais quand même précieusement dans un coin de ma tête pour le jour ou j’aurai gagné les moyens de pouvoir le faire.

Je suis donc partie m’entrainer en respectant les schémas classiques de PPG, PPO et PPS ( Préparation Physique Générale, Orientée et Spécifique).

Physiquement, et quelque soit le sport, j’ai toujours été faible. Et je le suis toujours.

J’ai donc travaillé à renforcer mon physique point par point de manière générale, puis de plus en plus orienté vers l’escalade.

Je faisais notamment des circuits training dans les salles de muscu (fonte et machine, pan Gullich et poutre), associé à du cardio (footing ou trail) pour la récupération, pour l’endurance à l’effort, mais aussi pour garder à l’esprit le plaisir simple d’aller faire du sport le matin, avant d’aller en cours.

A coté, j’ai multiplié le nombre de séances spécifiques: volume, rési, conti puis force et puissance bien-sur.

L’objectif était d’apprendre à mon corps à grimper, à se mouvoir par la force des bras dans un milieu vertical ou déversant.

 

Un entrainement uniquement axé sur le physique donc.

Oui voila.

Et un an après je me sentais prêt, et de retour sur Ailefroide pour une nouvelle saison d’été.

J’étais prêt et gonflé à bloc pour enchainer mon projet: Ce fameux « pied de la Sibylle » qui me faisait tant rêver.

Mais stupeur, physiquement taillé et affuté pour l’effort, je ne bougeais pas mieux. Voire moins bien!

C’était horrible.

Et de désillusion en désillusion, j’ai fini par abandonner une nouvelle fois, sans plus aucune peau sous les doigts et le mental en miette.

 

Waw, tout cet entraînement pour aucun résultat… Ça a du être dur à encaisser ! Quelles ont été les raisons de cet échec à ton avis ?

Clairement: surentrainement, fatigue extrême de la fibre musculaire et épuisement moral.

Mon échec est du a une mauvaise gestion de ma préparation car il est facile de soulever de la fonte tous les jours. Physiquement, le corps progresse toujours dans des technique basiques.

Mais quand il s’agit de mettre en jeu des mécanismes psychomoteurs complexes, sollicitant l’ensemble du corps et des coordinations précises, c’est une toute autre histoire.

Et toute la fatigue accumulée retombe d’un coup.

Comme un énorme coup de marteau sur la tête, te mettant face à la dure réalité de ce que tu as fait.

Mais mon échec n’est pas seulement du à cela.

 

J’ai pris conscience d ‘avoir oublié une chose très importante: l’escalade en elle même.

 

Le plaisir de grimper, le fait d’aimer se lever le matin, de déjeuner tranquillement avec les copains, de préparer son sac, ses chaussons, de marcher au soleil tôt le matin pour arriver au bloc en se disant « Merde, là j’ai froid mais quand je grimperai ça sera dément, ça va coller un max».

J’ai également oublié la variété gestuelle qu’offre notre pratique.

En effet pour être fort, il faut être curieux: s’ouvrir à différents style/mouvements/profils pour développer un instinct de grimpeur, de l’efficacité, de la réactivité du dynamisme et de la volonté.

 

D’accord. Donc ton erreur a été de te concentrer à 100% sur le physique, oubliant un peu « la grimpe ». Qu’as-tu fait alors ?

Cette deuxième année j’ai donc orienté mon entrainement en fonction de ces nouvelles conclusions.

En plus de la préparation physique, j’ai beaucoup bougé, grimpé à Bleau, dans diverses salles d’escalade en France, et découverts les magnifiques voies de résistance de Céuse.

 

Et ça été payant ?

Oui!

Cet été 2015, pour conserver un niveau physique optimal, j’ai alterné séance en salle, volume de musculation et de poutre, avec mes essais dans le bloc.

Et, en plus d’une relative solidité physique qui est rare chez moi, j’ai senti que mon corps avant envie « de partir en bas… et d’arriver en haut, debout sur le caillou».

En 4 séances de recalage et de ré-apprentissage de la ligne, j’ai enchainé, avec mon frère qui était la avec moi pour m’encourager et me filmer pour la vidéo.

Un moment parfait dans ma vie de grimpeur. 🙂

matthieu gery à Ailefroide

 

Tu m’étonnes ! Tant de travail, pour finalement une super récompense. Félicitations, c’est très impressionnant.

Ça m’amène maintenant à parler du côté mental.

Comment arrives-tu à rester focus sur l’entrainement pendant autant de temps ?

As-tu des astuces, des conseils pour rester motivé ?

Selon moi, l’entraînement sérieux et discipliné est un processus long et parfois douloureux qui demande beaucoup de sacrifice.

Parfois on ne sort pas pour se reposer, on s’isole pour rester concentrer, on est fatigué alors on est de mauvaise humeur, pas forcément agréable avec les autres.

On s’entraîne tôt le matin et tard le soir car on bosse. Car il faut bien vivre à côté du sport.

Personnellement, je reste focus dans l’entraînement et je vie comme ça car j’ai foi en quelque chose: je crois en des idées, des rêves que j’ai et dans le concept que dans la vie soit on choisit la facilité (une vie sans risque faite d’apparence, de faux semblant, et d’illusion… ), soit de vivre vraiment avec les difficultés que cela implique.

C’est pour moi le vrai bonheur: celui qui prend du temps et qu’il faut mériter .

Comme un musicien qui veut jouer un morceau à la perfection, un peintre qui veut réaliser l’œuvre de ça vie, un homme qui se bat toute sa vie contre une maladie alors qu’il est parfois si facile de laisser tomber.

Ma motivation viens de là.

De mon besoin d’avoir le sentiment de mériter tous les jours ce que j’ai.

De ne pas profiter de ce que j’ai de manière égoïste et égocentrique.

Et de mon envie d’accomplir des choses dont je serai fier et que je pourrai partager aux autres pour leur transmettre mes passions.

Grâce à ça, j’ai le sentiment que jamais je ne faiblirais dans la façon de m’entraîner.

 

J’aime bien ta façon de voir la grimpe, comme un mode de vie et non comme un simple sport, une simple activité sportive,comme c’est le cas maintenant souvent avec l’avènement de la grimpe-fitness.

Quel serait-ton conseil du coup pour rester focus sur l’entraînement ?

Le  conseil que je donnerai pour s’entraîner, pour être fort mentalement et toujours donner le meilleur de soi, c’est de donner une raison à sa pratique:

 

Pourquoi je grimpe?

Pourquoi je me lève là matin pour aller courir, aller faire de la Muscu?

Pourquoi un échec est aussi une réussite?

Pourquoi je rêve de monter en haut d’un bloc en prenant le passage le plus dur?

 

Je rajouterais que pour avoir confiance en soi il faut apprendre à se satisfaire de tout. Les plus petites réussites et les échecs sont gratifiants car il vaut mieux essayer et tomber que rester en bas à regarder.

Le mental est le moteur de la réussite .

Le plus important est donc d’être sur des ses convictions, de ses idées, du chemin que l’on emprunte…

Le reste suivra alors à coup sûr.

 

Avec autant d’entraînement, tu t’exposes fatalement aux blessures.

Que fais-tu pour les éviter?

Et si tu te blesses, comment réagis-tu?

Tu continues a grimper? Tu t’arrêtes complètement?

Ma priorité dans ma préparation c’est de me préserver. Je veux grimper toute ma vie. Je ne veux pas être limité par des faiblesses.

C’est pour ça que je passe autant de temps à faire de la PPG.

L’entraînement poussé à l’extrême permet d’apprendre à se connaître. On ne connais vraiment son corps que quand il est en difficulté, quand il est dans ses retranchements les plus lointains.

Du coup, j’apprends à ne pas me blesser en écoutant mes sensations .

J’accepte d’adapter mes séances, mon temps d’effort et de récupération en fonction de cela.

D’une manière général, j’aime le sport et l’effort physique alors si je me sens un peu faible, que j’ai des petites douleurs gênantes, je change quelques jours d’activité: je vais faire du trail, du ski de rando, de la course…

 

D’accord, donc pour toi prévenir les blessures c’est avant tout être attentif à ce que ton corps t’envoie comme signaux.

Oui c’est ça.

Physiologiquement, le corps humain est fait pour faire des efforts. Le sport fait partie de nous.

Les blessures peuvent donc être évitée si on pratique en écoutant notre corps et en s’entraînant beaucoup.

 

C’est la sédentarité, l’immobilité, qui est une blessure beaucoup plus dure à gérer…

 

Donc pour résumé, pour ne pas se blesser il faut apprendre à connaître sont corps parfaitement grâce a l’entraînement pour savoir quand il faut forcer et quand il ne faut pas.

 

Tu m’as dit précédemment que tu devais t’entraîner de bon matin ou le soir car bien évidemment il faut vivre et donc travailler. Mais j’ai vu que des sponsors te suivent également.

Comment as-tu fait pour les convaincre de te suivre, de te sponsoriser?

J’ai un book, un site internet et une chaîne Vimeo avec beaucoup de vue.

J’essaie de développer une sensibilité artistique en rapport avec mon sport. Une sensibilité qui est très proche de la nature, riche en émotions et finalement très positive pour les marques qui me sponsorisent.

Du coup, je pense que c’est pour ça que je suis avec eux. C’est vraiment top, on s’entend super bien, que se soit avec Nograd, Andrea Boldrini et +Watt.

matthieu gery et andrea boldrini

J’ai envie de partager de belle images avec les gens. Communiquer de la passion, du rêve, de l’ambition. Je pense que ça joue en ma faveur pour avoir des sponsors.

De plus, j’essaie de rendre mes films authentiques, personnels, sensibles, très narratifs et dans le mesure ou j’y arrive, professionnels.

Du coup, je pense que c’est une bonne vitrine de communication et de publicité pour eux

 

D’accord ! Effectivement, en véhiculant ce type de valeur, les marques ne peuvent qu’adhérer.

On sent vraiment cette sensibilité dans tes réponses d’ailleurs.

J’aimerais revenir sur l’entraînement, sur ton programme. Comment l’as-tu construit ? Seul ou avec un coach ?

Certaines personnes m’ont aidées mais j’ai toujours eu le sentiment que rien n’allait.

Du coup je me suis entraîner plusieurs année tout seul.

Cette année, j’ai commencé quelque chose avec un entraîneur lyonnais: Marc Ivora.

De plus en m’entraînant tout seul quand ça ne marchais pas, je n’en voulais à personne mise à part moi-même.

Du coup je m’engueule, je me reprend en main, je me remets les idées en place, je réfléchis et je tire des conclusions.

 

Et niveau programmation, comment fonctionnes-tu? Par cycle? Par exemple : un cycle de x semaines sur la force, un cycle de x semaines sur la puissance, un cycle de repos, etc…?

Je fais toujours deux mois de PPG et 1 mois plus orienté sur la puissance.

Ensuite, je fais des cycles de 3 semaines axés sur la force de vitesse et d’explosivité.

Chaque cycle est espacé de 15 jours de repos et je prends 15 jours sans escalade par an.

Cependant, j’ajuste toujours en fonction de ma forme, de ma fatigue et de ce que je fais à coté.

 

Merci Matthieu pour tes réponses et bonne continuation à toi dans tes futurs projets!

Merci à toi. 😉

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